Wednesday, November 16, 2011

Ziad Takieddine: son deal avec Chirac, les paiements de Hariri et la corruption Generalisee a L'Elysee....


Ziad Takieddine: son deal avec Chirac, les paiements de Hariri et la corruption Generalisee a L'Elysee....
Le deal s'est fait sous Chirac. Le marchand d'armes Ziad Takieddine a bien été payé d'une partie des commissions qu'il réclamait sur la vente des frégates à l'Arabie saoudite, au cœur de l'enquête des juges Van Ruymbeke et Le Loire. Ces paiements, promis en 1994 par le gouvernement Balladur mais bloqués sur instruction du président de la République fin 1996, auraient été partiellement effectués, entre 1997 et 1998, grâce à l'intervention du premier ministre libanais Rafic Hariri auprès de Jacques Chirac, d'après plusieurs documents et témoignages recueillis par Mediapart.
Selon un décompte effectué devant les juges, M. Takieddine a lui-même admis avoir conservé un montant de 70 millions de dollars sur une somme totale de 130 millions, qui a transité par une institution financière de M. Hariri, la Banque de la Méditerranée. M. Hariri se serait ainsi substitué à l'office d'armement Sofresa pour régler secrètement son dû à l'intermédiaire des balladuriens. Les contrats liant la Sofresa et les sociétés de M. Takieddine et ses associés ayant été simultanément détruits dans les sous-sols d'une banque suisse, le 10 mars 1997.

Le marchand d'armes, aujourd'hui mis en examen pour
MM. Hariri et ChiracMM. Hariri et Chirac© Reuters
«complicité et recel d'abus de biens sociaux», a maintenu le contact avec Rafic Hariri jusqu'à sa mort en 2005. Il avait d'ailleurs invité le premier ministre libanais chez lui, à l'occasion de la visite de Jean-François Copé à Beyrouth, en octobre 2003.
Alors que Ziad Takieddine a pointé du doigt, la semaine dernière, l'existence d'un «système bis» piloté par l'homme d'affaires Alexandre Djouhri, proche de Dominique de Villepin - une accusation démentie par l'intéressé et qui ne s'appuie pas sur des éléments inédits -, l'existence de paiements reçus par M.Takieddine sous Chirac laisse désormais entrevoir la possibilité d'un deal conclu entre ex-balladuriens et chiraquiens au sujet des commissions des frégates saoudiennes.
Ce scénario prend à contre-pied Dominique de Villepin, secrétaire général de l'Elysée à l'époque des faits, et l'ancien ministre de la défense Charles Millon qui avaient tous les deux affirmé avoir purement et simplement écarté les intermédiaires à cause des soupçons de corruption relevés par les services secrets français.
Dans un courrier inédit transmis aux juges (ci-dessous), Ziad Takieddine demande au premier ministre libanais, Rafic Hariri, d'intervenir auprès de son «ami» Jacques Chirac afin que soit réglé le contentieux naissant entre l'office d'armement Sofresa, dépendant de l'Etat, et les intermédiaires choisis par le gouvernement Balladur pour la vente des frégates à l'Arabie Saoudite dans le cadre du contrat Sawari 2.
Dans cette lettre, M. Takieddine accuse les chiraquiens de vouloir «récupérer» ou «s'emparer» des sommes d'argent qu'il devait encaisser. Il évoque les menaces reçues d'un«émissaire du Président», lui demandant «de tout arrêter». Il se plaint d'être devenu «la tête à abattre».
«Ce qui apparait aujourd'hui, c'est un retour aux anciennes habitudes du pouvoir, consistant à mettre la main sur des sommes d'argent, faisant partie intégrante d'un contrat d'Etat, sur lequel ils ont toute l'autorité, dénonce-t-il, pour d'un côté contrôler les paiements, et de l'autre côté, (...) le faire tout discrètement en cachant toutes les allégations et leurs actes dans le très convenable secret défense».

« La France respectera tous ses engagements »

En soulignant «l'urgence de trouver une solution à ce problème grave», M. Takieddine sollicite un rendez-vous au premier ministre libanais «avant que les choses s'enveniment». Un processus d'arbitrage engagé à Genève risquait, de fait, d'ébruiter l'affaire, comme Mediapart l'a déjà raconté.
«J'ai pensé à M. Hariri, que je ne connaissais pas, mais qui était le seul capable de parler à son ami, M. Chirac, a expliqué M.Takieddine aux juges. J'en ai parlé au ministre des affaires étrangères libanais que je connaissais et lui ai remis une note de trois pages à l'attention de M. Hariri. Je lui expliquais tous les faits et lui demandais d'intervenir auprès du président Chirac pour qu'il puisse faire respecter les engagements de la France.»
De gauche à droite: Farès Bouez, ancien ministre, Ziad Takieddine, l'ambassadeur Lecourtier et Jean-François Copé.De gauche à droite: Farès Bouez, ancien ministre, Ziad Takieddine, l'ambassadeur Lecourtier et Jean-François Copé.© (Mediapart)
C'est donc l'un de ses amis, l'ancien ministre des affaires étrangères du Liban, Farès Bouez, qui a introduit Ziad Takieddine auprès de Rafic Hariri. M. Bouez sera aussi l'un des hôtes de Jean-François Copé lors de sa visite au Liban en 2003, organisée par le même Takieddine.
Ziad Takieddine a demandé à Farès Bouez «de remettre cette note, qui était sous pli fermé, à M. Hariri dans l'avion qui les conduisait à New York, à la mi-septembre 1996». «A son arrivée à New-York, le ministre m'appelle pour m'informer que M. Hariri a lu la note devant lui et qu'il souhaite me rencontrer dès son retour à Paris trois jours plus tard», a expliqué Ziad Takieddine au juge Van Ruymbeke.
Une première rencontre avec Rafic Hariri a lieu «à 11 heures du soir, chez lui, place d'Iéna». «Il me dit qu'il a lu ma note. Il me dit que M. Chirac n'a pas pu faire cela, qu'il ne le croit pas. Je lui réponds que tout est vrai. Il m'informe qu'il doit déjeuner le lendemain avec M. Chirac et s'engage à m'appeler avant son départ à Beyrouth. Il m'appelle le lendemain à 15 h et me demande de l'accompagner à l'aéroport. Il m'indique, en route vers l'aéroport du Bourget, que le problème a été réglé et que la France respectera tous ses engagements.»
Dans la foulée, M. Takieddine aurait demandé «un écrit» au premier ministre libanais. «Il m'a répondu que M. Chirac ne rédigerait pas de papier. Je lui ai demandé s'il acceptait de se porter garant. Il ne voulait pas. Il me proposait que sa banque, la Banque Méditerranée à Beyrouth, puisse l'être. Je lui ai demandé si c'était lui ou si c'était M. Chirac qui allait tenir les engagements. J'ai senti une hésitation de sa part. Il me disait que ce n'était pas mon problème mais que les engagements seraient respectés.»
Un nouveau rendez-vous réunit Takieddine, Hariri et le prince Sultan, ministre de la défense saoudien, à Genève : «La veille de la rencontre, j'ai dîné avec Hariri à l'Intercontinental à Genève et le lendemain nous sommes allés voir le Prince Sultan, dans son palais à Genève, à 11 heures où nous l'avons rencontré trois-quarts d'heure».
M. Hariri aurait «tout raconté» au dignitaire saoudien : «son intervention à ma demande, sa rencontre avec le président Chirac et l'engagement de celui-ci à respecter tous les termes du contrat. Le président Chirac lui avait dit qu'il avait considéré par erreur qu'il y avait du financement illicite à travers ce contrat et que désormais il respecterait tous ses engagements.»

Villepin et Millon ont-ils menti ?

Du côté des balladuriens, le règlement de l'affaire semble avoir été un secret de Polichinelle. Thierry Gaubert, l'ami et ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy, mis en examen dans l'affaire, a ainsi indiqué au juge avoir appris par Takiedddine
T. GaubertT. Gaubert
«qu'il avait trouvé un arrangement avec M. Rafic Hariri, qui avait fait le lien entre lui et Chirac pour le paiement de ses commissions liées à Sawari 2».
Lors de son audition, Ziad Takieddine a détaillé sa rémunération dans l'affaire des frégates vendues à l'Arabie saoudite.
De 1995 à 1997, il assure avoir été rémunéré par la partie saoudienne, sur un compte au Crédit suisse et/ou à la banque Audi de Genève. Les contrats signés prévoyaient en effet un délai de deux ans avant le paiement des commissions. «J'ai perçu au total un montant de l'ordre de 70-75millions de dollars payés par un avocat représentant le Prince Sultan, de 1995 à 1997, en quatre paiements», a révélé M. Takieddine.
Interrogé sur la somme globale reçue de M. Hariri après son intervention auprès de Jacques Chirac, le marchand d'armes s'est montré précis. «M. Hariri m'avait ouvert un compte à la Banque Méditerranée, Verdun, pour recevoir cet argent. Il y a d'abord eu 75 millions de dollars versés en avril 1997 puis, deux ou trois mois après, 45 millions de dollars.»
Cette somme de 130 millions de dollars, déjà évoquée dans les documents révélés début septembre par Mediapart, aurait été partagée avec le cheik Ali Ben Moussalem, un dignitaire saoudien présenté au début de l'été 1993 par M. Takieddine à Edouard Balladur et son directeur de cabinet, Nicolas Bazire, lui aussi mis en examen dans l'affaire.
«J'ai payé ce que je devais au cheik Ali Ben Moussalem
MM. Takieddine et MoussalemMM. Takieddine et Moussalem
a expliqué M. Takieddine.Selon mon souvenir, cela représentait, pour les 75 premiers millions de dollars, les deux-tiers, soit un montant de l'ordre de 50 millions de dollars. J'ai conservé un tiers, que j'ai versé sur un compte suisse. Les 45, je les ai conservés intégralement sur le compte que j'avais à la Banque Méditerranée au Liban. J'avais préalablement consulté le Prince Sultan qui m'avait tout laissé.»
L'addition est simple : le versement de Rafic Hariri aurait donc rapporté 70 millions de dollars à M. Takieddine, auquel il convient d'ajouter 75 millions versés directement par la partie saoudienne avant 1997.
L'intervention de Rafic Hariri auprès de Jacques Chirac et les paiements finalement effectués en faveur de Ziad Takieddine viennent désormais modifier le scénario jusqu'ici avancé par les responsables politiques chiraquiens.

Les scénarios de la corruption

L'ancien ministre de la défense Charles Millon avait en effet assuré l'an dernier avoir reçu l'ordre «dans les quinze jours»suivant sa nomination, en mai 1995, de «procéder à la révision des contrats d'armement», tandis que Dominique de Villepin confirmait la décision prise par le président Chirac«d'annuler certaines commissions». Nul n'a évoqué la possibilité d'un deal. Seulement voilà, celui-ci semble patent et désormais documenté.
Si Rafic Hariri s'est donc substitué à la Sofresa pour régler une partie des commissions, il reste à déterminer sur quels fonds il l'a fait. Ou comment il a été lui-même remboursé des 130 millions de dollars versés à M. Takieddine.
© Reuters
Deux hypothèses sont avancées. Selon M. Takieddine, M. Hariri aurait reçu, en échange de son intervention, le paiement par le royaume saoudien «de factures impayées» à hauteur de 1,3 milliard de dollars. Peu vraisemblable : c'est généralement le vendeur, et non pas l'acheteur, qui verse les commissions... L'origine des fonds est peut-être plutôt à chercher du côté français.
Selon Michel Mazens, ancien patron de la Sofresa, après avoir acté l'annulation officielle des contrats du réseau de M. Takieddine et de ses amis en mars 1997, l'office d'armement a reversé à l'industriel Thalès l'intégralité des commissions prévues.
«Tous les plannings de paiement du client saoudien ont été revus pour que la colonne qui devait payer le réseau "K" - nom du réseau Takideddine, NDLR - aille abonder le compte de l'industriel, Thalès, a déclaré M. Michel Mazens à Mediapart. C'est ce qui a été fait et mis en œuvre.»L'industriel était donc le dépositaire de ces fonds. Il était en capacité d'opérer éventuellement le dédommagement de M. Hariri. C'est la deuxième hypothèse.
Dans des explications successivement relayées par le Journal du Dimanche, Le Nouvel Observateur et Le Monde, Ziad Takieddine va plus loin et assure qu'un «système bis» a été mis en place au sein même de Sofresa. «En remplacement des sociétés Rabor et Estar, dont les contrats ont été détruits, il y a eu trois destinataires. Une partie a bénéficié à une société qui représente M. Chirac. Une autre partie a bénéficié à une autre société qui représente M. de Villepin. La troisième société est celle de M. Djouhri qui chapeaute les trois sociétés.»
A l'appui de sa démonstration, Ziad Takieddine a relevé les versements opérés par la Sofresa après son indemnisation par Rafic Hariri. Ces éléments apparus lors des perquisitions effectuées chez Sofresa - aujourd'hui rebaptisée Odas - en avril dernier ne font évidemment pas apparaître les noms de MM. Chirac, Villepin ou Djouhri.
Il s'agit de versements effectués en faveur de deux sociétés baptisées Parinvest (du groupe saoudien Bugshan) et Issham For Contracting Maintenance, qui ont respectivement reçu 85,4 millions et 1,4 milliard de francs de la Sofresa.
«Il n'y a aucune substitution de réseau, a expliqué de son côté l'ancien patron de Sofresa, M. Michel Mazens à Mediapart. Le groupe Bugshan a été l'un de nos relais, pour des travaux de maintenance sur place, dans le pays client. Quant à la somme importante en faveur de la société Issham, il s'agit d'un versement légal destiné à apurer les commissions prévues au contrat, avant la mise en œuvre de la convention OCDE, qui les interdisait à compter de juin 2000».
Pour tenter d'y voir plus clair dans le maquis comptable des commissions occultes du marché des frégates saoudiennes, les juges Van Ruymbeke et Le Loire ont demandé l'élargissement de leur enquête, pour l'instant limitée à la période 1993-95, aux années suivantes. C'est-à-dire à l'ère Chirac. Le parquet de Paris, à qui il revient de donner une réponse favorable (ou non) à la requête des juges, n'a pas encore rendu sa décision.